Bordeaux-Métropole : ce que sont devenus les « mauvais élèves » du logement social

Quelle est l’évolution de la construction de logements sociaux en Gironde depuis 2013 ? Que sont devenues les villes qui, à l’époque sous la barre des 20%, étaient qualifiées de “mauvais élèves” ? Comment tentent-elles aujourd’hui de s’aligner sur les 25% de quota imposé ?

 

En 2013, nos camarades du Data Journalisme Lab ont étudié l’équipement en logements sociaux des villes de Bordeaux Métropole, à l’époque appelée CUB. Parmi les vingt-huit villes, neuf d’entre elles ne respectaient pas la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) car elles ne construisaient pas assez de logements sociaux. Nous avons décidé de concentrer notre analyse sur les neuf villes en question : St-Aubin-de-Médoc, Parempuyre, Le Taillan-Médoc, Ambarès-et-Lagrave, St-Médard-en-Jalles, Bordeaux, Villenave-d’Ornon, Gradignan et Artigues-près-Bordeaux.

Le 22 mars 2017, Emmanuelle Cosse, alors ministre du Logement, a rendu public un bilan triennal sur la situation des logements sociaux et leur évolution depuis 2000, date de l’instauration de la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU). Dans sa présentation, elle se félicite de la bonne évolution concernant la construction de ces logements. Nous sommes passés de 87 000 logements construits en plus, dans les années 2000 à 190 000 en 2016. Un boom de la construction, donc.

 

Rappel de la loi SRU

Elle a été créée en 2000 sous l’impulsion de Lionel Jospin afin d’imposer aux communes françaises de plus de 3500 habitants un quota d’au moins 20% du parc locatif de la commune en logements sociaux. Depuis 2013, la loi a été modifiée. Le taux a été revu à la hausse, passant à 25%.

Pour Emmanuelle Cosse, “si toutes les communes soumises à la loi SRU remplissaient leurs objectifs, nous aurions 700 000 logements sociaux supplémentaires en 2025.” Mais c’est sans compter la toute dernière réforme adoptée. Deux décrets de la loi “Egalité et Citoyenneté” de janvier 2017 redéfinissent le décret de l’article 55 de la loi SRU. Ces décrets mettent fin au quota imposé pour des communes ne se situant pas dans des zones où les demandes pour cesdits logements sont faibles, mais renforcent le contrôle de l’Etat sur les communes qui refuseraient de construire davantage. Au 1er janvier 2016, le nombre de logements sociaux total en France s’élevait à 453 300. Emmanuelle Cosse, pour 2025, assure que la France atteindra les 700 000.

Le nouveau ministre en charge du Logement dans le gouvernement Edouard Philippe est Richard Ferrand. Le mot “logement”, comme le mot “ville”, ont disparu des intitulés de ministère, pour être intégrés à celui de la “Cohésion des territoires”. Richard Ferrand a précisé : « Le Logement a un ministre de plein exercice et c’est moi », en recevant les clefs que lui laisse Emmanuelle Cosse.

En Gironde, certaines communes ont rapidement répondu à cette demande, comme Cenon ou encore Lormont, les “bons élèves” selon le Data Journalisme Lab 2013. Et ce grâce à des terrains vierges et donc des possibilités de construction plus élevées.

Nous nous sommes rendues à Ginko, un « écoquartier » situé au nord de Bordeaux, sur la rive est du lac. Les travaux ont commencé en 2010 et devraient se finir en 2020. En tout, 2200 logements seront construits, dont 33% de logements sociaux. En octobre 2016, Mesolia, entreprise sociale pour l’habitat en Aquitaine, a livré 31 logements sociaux à Ginko. En 2017, on lève la tête pour regarder à la fois les bâtiments flambant neufs et la forêt de grues.

 

Saint-Aubin-de-Médoc a rapidement construit, sans pour autant adhérer complètement à la loi SRU. La ville se plaint de ne pas être un bassin d’emploi attractif et redoute de devenir une « cité dortoir » plutôt qu’une ville dynamique. Christophe Duprat, maire Les Républicains de Saint-Aubin-de-Médoc, avait déjà été interviewé par nos camarades en 2013. Son avis sur la loi SRU a-t-il changé depuis 4 ans ? Sa commune a-t-elle changé sa politique vis-à-vis des logements sociaux ?

« Plus je construis, plus je paie d’amende »

Nous avons interrogé Christophe Duprat pour mieux comprendre la situation de Saint-Aubin-de-Médoc. La population de la ville est de 6 704 et son taux de logements sociaux de 11.97% en 2016.

Quel type de logements sociaux privilégiez-vous en terme de construction ?

Les demandes que l’on a concernent des T3, T4, T5, plutôt en maison. Aujourd’hui, ⅓ des demandes viennent de personnes qui habitent la commune, et les ⅔ restant viennent d’autres communes. Les gens veulent venir ici car nous privilégions des maisons sur des petits terrains plutôt que des immeubles. Au total, 39 logements sociaux sont en construction.

Comment gérez-vous la construction de logements sociaux et l’emploi ?

Quand vous vous situez en limite de l’agglomération et que les terrains sont deux fois moins cher chez vous, vous n’êtes pas compétitif. Vous ne pouvez donc pas créer d’emploi. Les emplois se créent à Mérignac, grâce à l’activité de l’aéroport, ou à Bordeaux. Je me situe entre les deux. La seule chose qui s’est créée est une entreprise privée de service d’aide à la personne. En 3 ans, ils sont passés de 0 à 90 personnes. Mais sinon, personne ne vient s’implanter chez nous. Tous les territoires ne sont pas forcément attractifs.

Que pensez-vous de l’augmentation du quota et de l’amende imposés par la loi ?

J’ai payé 84 785 euros d‘amende en 2015 et 103 771 euros en 2016. Pourtant, je suis passé de 0 logements sociaux avant la loi SRU (2000, NDLR), à 114 logements sociaux en 2013, et 313 en 2016. Plus je construis, plus je paie d’amende. Car cette amende ne se calcule plus sur 20% du potentiel fiscal, mais sur 25%. Cela ne m’incite pas à construire, surtout que je ne sais pas où va cet argent. Si ces 103 771 euros étaient virés en partie à des promoteurs prêts à construire chez nous, pour que le terrain soit moins cher avec des loyers moins élevés, cela pourrait se comprendre, mais ce n’est même pas le cas.

Pourquoi ne pas avoir construit des logements sociaux plus tôt ?

Je n’étais pas maire à l‘époque, mais toutes les communes qui étaient au-delà de la rocade n’avaient pas de forte concentration en logements sociaux. Les autorisations de construire ne se faisaient qu’à l‘intérieur de la rocade. Je serai à 14 ou 15% l’année prochaine, mais je ne pourrai pas atteindre 25%. Je l’atteindrai peut-être en 2030, mais cette année-là, passera-t-on à 30% obligatoires ? Lorsque l’on prend la décision de construire un logement social et de le livrer, il se passe environ 4 ans. C’est compliqué de rattraper son retard. Moi, j’ai fait la moitié du chemin.

Conclusion 

Quatre ans plus tard, Christophe Duprat maintient que cette loi est un non-sens car, selon lui, beaucoup de petites communes comme la sienne ont des difficultés à construire davantage, mettent du temps à atteindre 25%, et se sentent condamnées à payer des amendes assez élevées. Comme en 2013, et malgré une progression claire entre 2014 et 2016 avec +7.04 points de logements sociaux, il pense ne jamais pouvoir atteindre à temps le quota.

 

Les logements sociaux en graphiques 

Ce premier graphique montre les taux de logements sociaux dans les neuf villes de notre étude, chaque année depuis 2013. Il s’agit donc des chiffres de 2013 sur l’année 2012, des chiffres de 2014 sur l’année 2013, etc. Ces taux, fournis par les mairies ou par le ministère du Logement sont calculés à partir du nombre de logements dans le parc locatif de la commune. En tout, la Métropole de Bordeaux compte plus de 80 000 logements sociaux. Par exemple, Gradignan comptait 1 946 logements sociaux en 2013, 2 030 en 2014, 2 179 en 2015 et 2 298 en 2016.

Sur le 1er graphique, les taux plus faibles de logements sociaux sont ceux de Parempuyre, Saint-Aubin-de-Médoc et Le Taillan-Médoc. Elles sont parmi les villes les moins peuplées de la Métropole, entre 6000 et 9000 habitants environ. Paradoxalement, Artigues-près-Bordeaux est en tête concernant ses logements sociaux, bien qu’elle fasse aussi partie des villes les moins peuplées (environ 8000 habitants).

Le 2e graphique, ci-dessous, représente l’évolution entre le taux de 2013 et le taux de 2016, afin de voir quelles sont les villes qui ont le plus progressé. Christophe Duprat affirme quesur les communes déficitaires aux alentours de Bordeaux, Saint-Aubin est celle dont le taux a augmenté le plus vite, entre le vote de la loi et aujourd’hui, puisqu’on est passé de 0 à 12% de taux.” C’est en effet sa ville qui connaît la plus forte progression depuis le début, malgré les réticences de son maire.

Quant à Parempuyre, la progression est moyenne : +3.47 points. Mais selon Jérôme Larquier, Directeur Général des Services de la mairie de Parempuyre, des efforts continueront d’être faits dans cette voie : “La politique en faveur du logement conventionné correspond à un véritable besoin du territoire et de sa population. Elle sera donc poursuivie tout au long du mandat.”

Si la loi n’avait pas été modifiée et que le quota de logements sociaux à respecter était encore de 20%, deux d’entre elles respecteraient actuellement, en 2017, la loi SRU : Artigues-près-Bordeaux et Ambarès-et-Lagrave. Gradignan, à 19.95%, n’en serait pas très loin non plus.

Mais attention, ce n’est pas parce que des villes ne sont pas à 25% en 2017 qu’elles ne respectent pas la loi SRU, puisque c’est un objectif à atteindre avant 2025. C’est ce que rappelle une employée de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer de la Gironde qui souhaite garder l’anonymat.

« On sait très bien que certaines communes ont accumulé trop de retard »

Comme cette personne est arrivée à la DDTM au moment de la loi Duflot, il était intéressant d’avoir son point de vue sur la progression de nos communes depuis quelques années. Nous lui avons aussi posé quelques questions sur les règles fixées par la loi SRU.

Pourquoi le seuil a-t-il été augmenté à 25% alors que les communes avaient déjà du mal à atteindre 20% ?

Le reproche que l’on peut faire à cette loi, c’est de ne pas travailler finement. Quand on peaufine un peu plus par commune, c’est vrai que nous mêmes, service de l’Etat, on se rend compte qu’on met parfois 25% alors que ce n’est pas justifié. On fait remonter des choses auprès du Ministère, mais la loi est ce qu’elle est, c’est difficile de la faire changer. La plupart des communes n’atteindront pas 25%. On sait très bien que certaines communes ont accumulé trop de retard.

C’est-à-dire qu’elle n’est pas adaptée au cas particulier de chaque commune ?

Voilà. Dans le déroulement de la procédure, c’est à nous de ne pas mettre en carence une commune ou de ne pas imposer certains prélèvements, en justifiant qu’il n’y a pas nécessité de lui demander autant de logements sociaux. C’est comme cela que l’on peut biaiser le système.

Justement, pourquoi, parmi les communes déficitaires, certaines communes sont carencées et d’autres non ?

Tous les trois ans, nous fixons des objectifs de rattrapage. La période actuelle est 2017-2019. En 2020, nous ferons donc le bilan de ces objectifs. On contextualise la commune, on voit si elle a rencontré des difficultés et si elles lui sont imputables. On carence les communes qui ne les ont pas atteints parce qu’elles n’ont volontairement pas fait assez d’efforts ou qu’elles n’ont pas mis en place un plan d’urbanisme avec les outils pour créer des logements sociaux. La carence, ce n’est pas parce qu’elles sont déficitaires, mais parce qu’elles n’ont pas atteint les objectifs au bout de trois ans.

 

Une commune carencée, qu’est-ce que c’est ?

Selon Suzanne Maury, dans l’ouvrage « Les questions sociales aux concours », “220 communes (en France, NDLR) font au final l’objet d’un constat de carence, c’est-à-dire qu’elles n’ont pas respecté le programme de rattrapage qu’elles s’étaient engagées à remplir.” Aucune des neuf villes de notre étude n’est carencée. Mais dans le département de la Gironde, Cadaujac, Coutras, Izon, le Pian-Médoc et Saint-Denis-de-Pile le sont.

 

Les bons élèves en 2025 

Grâce à la progression des villes depuis quelques années, il est possible de calculer la vitesse de leur évolution et de savoir si elles peuvent atteindre à temps les 25% imposés. Ainsi, si elles suivent leur progression actuelle, Artigues-près-Bordeaux devrait atteindre les 25% en 2018, Ambarès-et-Lagrave en 2021, et Gradignan en 2022. Ces trois villes, ex-“hors-la-loi”, deviendront des bons élèves en respectant avec de l’avance la loi SRU. Quant à Bordeaux, elle n’atteindra qu’environ 20% en 2025 si elle garde sa progression actuelle de +0.30 points par an.

 

Où les trouver 

Bordeaux proposait 23 172 logements sociaux en 2015 et 24 015 en 2016. Nicolas Martin, chef de service au service développement de l’offre de logement de Bordeaux Métropole, explique la répartition : “La construction récente a été réalisée majoritairement à Ginko et aux bassins à Flot. Le Programme national de requalification des quartiers anciens dégradés a permis également de créer des logements sociaux dans le centre ancien. Une importante production est prévue sur les secteurs de l’OIN Euratlantique dans les années à venir.” Ces secteurs du projet OIN (opération d’intérêt national) Euratlantique sont cinq quartiers à Bègles, Bordeaux et Floirac, qui seront totalement transformés d’ici 2020 pour accueillir de nombreux logements et bureaux.

Pointeurs bleus : les 9 communes concernées par notre enquête.
Pointeurs violets : constructions en cours de nouveaux logements sociaux appartenant à ces villes.

Kathleen Franck
Juliane Rolland

Lire le making-of de cette enquête