Depuis 2012, la politique immobilière de la ville de Bordeaux a engendré de nombreuses cessions. Peut-être la nécessité de renflouer les caisses de la municipalité, alors que les grands projets se multiplient. A l’inverse, les acquisitions se font plus rares. Enquête.
« La politique foncière est d’une extrême clarté, chaque fois qu’un élément collectif du patrimoine n’a plus d’utilité, nous le mettons sur le marché. C’est tout simple. » Cette déclaration lapidaire de l’édile de Bordeaux, Alain Juppé, date du 15 juillet 2014 lors d’un conseil municipal. La politique immobilière et foncière de la Ville était alors remise en cause par les élus de l’opposition à propos d’une énième vente actée par la majorité.
Pourtant, le manque de « clarté » et la « simplicité » c’est justement ce qui est reproché à la municipalité. Aucune donnée ouverte sur le portail Open Data de la ville, des chiffres disponibles au compte-gouttes sur son site institutionnel et jargon très technique. Pour les administrés, difficile de comprendre la politique mise en oeuvre par la mairie… qui n’a pas donné suite à nos sollicitations dans le cadre de cette enquête.
Pour y voir clair sur le sujet et établir un état des lieux, il a donc fallu collecter dans le site web municipal et analyser quelque 120 délibérations votées par les élus sur la période 2012-2016.
Beaucoup de cessions, peu d’acquis
Les élus de l’opposition, agacés par cette absence de transparence, vont plus loin. Certains doutent de la gestion communale du patrimoine. C’est le cas de Delphine Jamet, conseillère municipale du groupe Europe-Ecologie-Les Verts. « Je regrette le manque de vision sur le patrimoine immobilier et foncier. Ce manque de vision d’ensemble, c’est problématique « , affirme cette élue, très attachée à l’ouverture des données dans ce domaine. Grâce aux informations que nous avons pu récolter, une tendance lourde se dégage, la ville cède son patrimoine.
Le nombre d’opérations de cessions et acquisitions foncières et immobilières de Bordeaux présente une constante dans la politique immobilière de la municipalité, l’année 2015 exceptée : les cessions sont largement supérieures aux acquisitions, sur la période explorée. Peut-être le reflet d’une politique assumée de la Ville, ou la nécessité de faire rentrer des liquidités dans les caisses. L’exemple le plus marquant est l’année 2014, où les ventes sont trois fois plus nombreuses que les achats.
Une balance en déficit de 30 millions d’euros sur 5 ans
Les cessions ont rapporté près de 64,5 millions d’euros entre 2012 et 2016. Comme le montre le graphique précédent, les cessions ont été nombreuses en 2014. Ce qui engendre donc une rentrée massive d’argent. Près de 22,2 millions d’euros ont renfloué les caisses de la municipalité cette année-là, c’est plus d’un tiers des recettes de la période 2012-2016. A l’inverse les acquisitions ne dépassent jamais onze millions d’euros annuels (35 millions d’euros). Sur ce point, les investissements de la mairie sont plus prudents.
Les biens acquis ont essentiellement permis l’aménagement d’infrastructures publiques. Ainsi, l’acquisition de nombreux terrains nus a permis la création, voire l’extension d’espaces verts comme le précisent les délibérations votées par les élus.
La majeure partie a été vendue soit par des collectivités territoriales comme Bordeaux Métropole (anciennement CUB), soit par des entreprises privées comme Bouygues Immobilier ou le promoteur SNC Brochon Puy Paulin, société gérée par Michel Ohayon. L’acquisition de certains terrains s’explique par les nombreux projets que mène la ville de Bordeaux sur son territoire, comme actuellement dans le quartier des Bassins à Flots.
A contrario, la mairie de Bordeaux se sépare essentiellement de son ensemble immobilier (bâti), représentant près de la moitié de ses ventes. Les raisons sont diverses. La construction de la Cité municipale, regroupant la majorité des services municipaux explique l’abandon de certains bâtiments. Il est aussi intéressant de noter l’existence de nombreux échanges entre la mairie et les collectivités territoriales (communes voisines, CUB, département…) mais aussi avec les bailleurs sociaux, dont l’objectif est la création de logements sociaux. Cependant, la ville a notamment vendu de nombreux immeubles situés dans l’hyper-centre de la ville, par adjudication (vente aux enchères) permettant ainsi de dégager d’importantes recettes. Des ventes bienvenues pour assainir les finances de la commune. Une logique à court-terme pour l’opposante écologiste Delphine Jamet: « Plus on vend, moins on possède de patrimoine. Et on appauvrit la ville et ses habitants, surtout les générations futures« .
Enquête réalisée par Pierre Barbin, Bastien Coquelle, Ulysse Cailloux et Benoit Donnadieu