Fracture numérique : « C’est comme être privé d’électricité il y a 50 ans »

EN AVRIL 2016, LE DÉPARTEMENT DE LA GIRONDE A MIS EN PLACE UN PLAN D’URGENCE VISANT À ÉQUIPER LES TERRITOIRES SOUFFRANT D’UNE TRÈS MAUVAISE COUVERTURE INTERNET. 39 COMMUNES SONT CONCERNÉES. PLUS QUE DES CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES OU DÉMOGRAPHIQUES, C’EST AVANT TOUT LE LIEN SOCIAL QUI EST FRAGILISÉ PAR CETTE FRACTURE NUMÉRIQUE.

« Impossible de prendre un billet de train ou d’avion en ligne le dimanche, il faut attendre minuit le soir pour télécharger un fichier un peu volumineux, c’est vraiment handicapant », explique Dominique Clavier le maire de Pujols-sur-Ciron, une commune girondine de 786 habitants.

Comme les 38 autres communes faisant partie du plan d’urgence de raccordement Haut Mega, Pujols-sur-Ciron pâtit d’une très mauvaise connexion internet. « Le problème c’est qu’internet n’est pas considéré comme un service public, or les opérateurs ne s’installent que dans les territoires qu’ils jugent rentables, comme à Libourne ou dans le bassin d’Arcachon. Mais aujourd’hui tout passe par internet, on fait ses déclarations d’impôts en ligne, on remplit ses formulaires pour Pôle Emploi. Le net est devenu un besoin nécessaire », affirme M. Clavier qui a déjà vu quelques couples quitter sa commune ou ne pas s’y installer pour ce motif.

« Ne pas avoir internet aujourd’hui c’est comme les villages qui n’étaient pas correctement électrisés il y a 50 ans, c’est un vrai handicap, c’est presque impensable », déplore-t-il.

« On se sent abandonné »

Un avis que partage Jean Claude Combret maire de Ruch, une commune de 500 habitants. Suite à une tempête en février dernier les réseaux ont été endommagés, privant le village entier d’internet et de téléphone pendant 15 jours. « Le retour au Moyen-Age, c’était impossible de travailler, on ne pouvait rien faire », raconte sa secrétaire. Ces élus sont d’ailleurs habitués à recevoir les doléances des habitants qui se sentent délaissés.

Monsieur Estribeau qui travaillait dans l’aéronautique à Bordeaux s’est installé à Ruch pour prendre sa retraite. Il a ainsi vécu de plein fouet la fracture numérique qui sépare les grandes villes des petites communes. « On se sent coupé des autres, de ses proches, du reste du monde. Abandonné », déplore-t-il. « Le pire dans tout ça, c’est qu’on paye pour un service plein pot et qu’on en profite même pas à 10%. Et maintenant, on va utiliser l’argent public, nos impôts, pour payer des opérateurs qui s’en mettent déjà plein les poches ».

Denise et Jean-Claude Lecoufle possèdent un gite à 2km de Ruch. Ils ont d’ores et déjà été prévenus que malgré le plan d’urgence ils ne bénéficieraient peut-être pas d’un meilleur débit. Deux kilomètres les séparent du village et de l’armoire ADSL de leur commune. Cet hôtelier relativise  : « C’est vrai que c’est pénalisant mais en même temps la plupart des gens viennent en vacances aussi pour se déconnecter donc ce n’est pas si grave. On voit quand même de plus en plus de familles arriver avec des Ipad, tablettes ou ordinateurs et se plaindre du réseau ».

Inégalités métropole-campagnes

Selon les données de l’Agence du numérique, 166 des 540 communes de Gironde disposent aujourd’hui d’une couverture inférieure à 3 Mbit/s.

Grâce à cette base de données nous avons cartographié, classé puis noté au moyen d’une moyenne pondérée, les communes en fonction du niveau de débit internet auquel elles étaient éligibles. C’est ainsi que l’on peut noter que Bordeaux détient note finale de 9,79/10, puisque 88,8% de la population totale est éligible à un débit supérieur ou égal à 30Mbit/s.

A l’extrême inverse, Ruch et son zéro pointé : aucun des 500 habitants n’est éligible à un débit supérieur à 3Mbit/s.

Qu’est-ce que le haut débit?

Selon l’Observatoire France Très Haut débit, l’accès à internet est considéré à « très haut débit » dès que le débit est supérieur à 30 Mégabits par seconde. Afin d’y voir plus clair, voici un tableau qui indique les vitesses de téléchargement en fonction du débit internet. Il est par exemple possible de télécharger un jeu vidéo en 22 minutes avec une connexion de 30 Mbit/s.

Qu’est-ce que le plan Haut Méga ?

Lancé par Gironde numérique en avril 2016, le plan Haut Méga vise à installer le très haut débit dans l’ensemble du département d’ici dix ans. Le plan d’urgence fait partie du plan Haut Mega.

Crédit : Laure Giuily et Jérémie Vaudaux

Quelles sont les 39 communes concernées ?

Dans notre précédente carte sont présentées en vert les 39 communes qui bénéficient du plan d’urgence du syndicat mixte Gironde Numérique, en rouge celles qui sont les moins bien raccordées et qui ne sont pas éligibles au plan d’urgence.

Selon Gironde Numérique, ces 39 communes ont été déterminées suivant un rapport de l’opérateur Orange pointant les armoires ADSL les plus saturées. QUID des autres communes qui ne font pas partie de ce plan et pâtissent pourtant d’une mauvaise connexion ? Comme le montre la carte, certaines communes en rouge sont voisines des vertes, elle bénéficieront donc de la montée en puissance du débit des communes frontalières. Pour les autres …

 

Les travaux n’ont pas débutés en même temps dans toutes les communes. Pour certaines, les travaux sont encore en cours comme à Pujols-sur-Ciron ou à Ruch. Tandis que dans d’autres communes comme à Salles, Salaunes ou Chamadelle, ils sont déjà terminés. Les habitants doivent faire eux-même les démarches afin de bénéficier de l’amélioration de leur ligne ADSL.

Gérard Mussot, premier adjoint au Maire de Chamadelle commente l’avancée des travaux. « A un mois près, le délai a été respecté puisque les travaux sont opérationnels depuis la fin du mois d’avril ». Évidemment, les habitants ont accueilli avec enthousiasme cette montée en puissance de leur débit internet.

Les oubliés du plan d’urgence

Le hic : certains habitants ne bénéficieront pas de ces retombées. En effet, il est précisé dans le plan d’urgence que seuls les habitants situés dans un rayon d’un kilomètre seront éligibles à un débit de 30 à 70 Mbit/s. Pour les autres, un débit d’au moins 2 Mbit/s est garanti. Et pourtant, certains foyers ne verront rien de tout cela.

C’est le cas de Vincent Dubreuil qui vit à Mauzet, un lieu-dit de Chamadelle. Construite il y a deux ans, sa maison se situe à 4km de Chamadelle et à 7km de la commune voisine Lagorce. « Pour une raison que j’ignore je dépends du nœud de raccordement de Lagorce. Autant vous dire que niveau internet c’est la galère! ». Marié et père de deux enfants, ils se partagent entre 512 Ko et 1 Mo de débit à trois. Leur solution ? Les clefs 3G. « C’est bien plus efficace et on apprend à vivre avec… On y arrivait bien avant mais c’est vrai que c’est devenu difficile de vivre sans internet aujourd’hui « , explique-t-il.

Selon Gérard Mussot quatre ou cinq familles sont dans le même cas que Vincent Dubreuil, sans aucun plan d’urgence pour améliorer leur situation. Pourtant le plan Haut Mega prévoit bien le raccordement en haut débit de l’ensemble du département d’ici 10 ans. Le nouveau président, Emmanuel Macron envisage lui de raccorder l’ensemble du pays d’ici la fin de son mandat.

Enquête de Laure Giuily et Jérémie Vaudaux

Lire le making-of de cette enquête