Présidentielles 2017 : cette Nouvelle-Aquitaine qui bascule vers les extrêmes

23 avril 2017, Emmanuel Macron se réjouit de sa victoire au premier tour de l’élection présidentielle. Mais il n’est pas le seul. Derrière lui, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, candidats des extrêmes, réalisent une percée historique en Nouvelle-Aquitaine. Taux de chômage, niveau de vie, rôle des médias… Pourquoi certains territoires aquitains ont basculé en 5 ans ?

 

Une chose est sûre, la dernière campagne présidentielle a pris une tournure inédite. Les candidats des partis traditionnels ont été relégués au second plan. 

En Nouvelle-Aquitaine, François Fillon, candidat Les Républicains, est arrivé en quatrième position avec 17,79% des voix, suivi du socialiste Benoît Hamon avec 7,09%. Un résultat qui tranche avec celui de 2012 où la région avait majoritairement voté pour François Hollande dès le premier tour. Avec l’effondrement des partis historiques, une nouvelle carte politique se dessine.

Nouveau venu sur l’échiquier politique, Emmanuel Macron se place en tête avec 25% des voix dans l’essentiel des terres socialistes. Il récupère également la huitième circonscription de Gironde et la sixième circonscription des Pyrénées-Atlantiques acquises jusqu’alors à la droite.

Mais ce qui interpelle, c’est cette diagonale bleu marine qui s’étend de Rochefort à Agen, le long de la Garonne. Marine Le Pen (FN) y fait une percée remarquable, notamment ce score de 30,78% dans la onzième circonscription de Gironde ou de 26,94% dans la quatrième circonscription de la Vienne.

Jean-Luc Mélenchon, le candidat de La France insoumise, se distingue en Dordogne avec 23% sur le département. Il se place en tête dans trois circonscriptions sur quatre. Autour des grandes villes, sa progression est elle aussi importante, en particulier dans le sud bordelais où il atteint 29,64% des suffrages.

Marine Le Pen : entre ancrage et progression

Peut-on parler d’apparition de l’extrême droite lors de la présidentielle 2017 en Nouvelle-Aquitaine ? La question est posée. Dès 2012, Marine Le Pen réalise des scores bien au dessus de son score national comme dans la circonscription de Blaye. Elle obtient alors 23,85% des suffrages. Cette année, elle récolte plus de 30%.

Premier constat : le FN s’est ancré dans certains territoires de la Région. Deuxième constat : dans des circonscriptions bien moins acquises à l’extrême droite, le parti avance. Dans la première circonscription de Corrèze, les terres du président sortant François Hollande, Marine Le Pen progresse de 4,52% entre 2012 et 2017, l’une des plus fortes progressions dans la région. Dernier constat : la réapparition d’un axe bleu marine le long de la Garonne, anciennement acquis à la gauche. Peut-on simplement parler d’éloignement des villes, de sentiment d’abandon ? C’est ce que l’on a tenté de comprendre.

L’ancrage : un travail de longue haleine dans la « ruralité désespérée » ?

L’ancrage, Marine Le Pen le doit à un travail de fond. Arrivée en 2011 à la présidence du Front National, elle réorganise le parti autour d’une stratégie : mailler le territoire. Elle cible les circonscriptions aptes à accepter rapidement ses idées.

C’est le cas du Médoc, une ruralité « désespérée » comme l’explique le chercheur Olivier Costa. Si en 2012, François Hollande et Nicolas Sarkozy arrivent en tête avec 29,94% et 23,93% des voix, Marine Le Pen obtient déjà 19,78% des suffrages. Un score supérieur à celui espéré. Cette année le Médoc lui a accordé 24,14% des suffrages. Un joli score qui s’explique selon Olivier Costa par « une stratégie d’investissement du FN dans cette circonscription depuis une bonne dizaine d’années. Ils sont très implantés dans les sociétés de chasse, dans les milieux viticole et agricole ». Un discours qui séduit différents publics. La circonscription est dominée par une population âgée entre 40 et 54 ans. La majorité des habitants sont ouvriers ou employés. Cette dernière, venue de la métropole bordelaise « se sent rejetée et abandonnée loin de la ville, des services publics, des infrastructures », toujours selon le chercheur.

Un vote qui se confirme, dans la Nouvelle Aquitaine. En Gironde par exemple, le coefficient de corrélation entre vote FN et exploitants agricoles grimpe à 73,17%.

Une poussée… hors radars ?

Si le FN s’ancre en Gironde, dans d’autres zones rurales, il progresse sans toutefois devenir un acteur incontournable. Le FN n’y réalise pas ses meilleurs scores, loin de là, mais on y observe ses meilleures progressions.  C’est le cas dans la 3e circonscription des Landes, territoire de gauche, ainsi que dans le Périgord vert où la candidate gagne en moyenne 4,5 à 5% des voix entre 2012 et 2017. Rien ne relie pourtant ni sociologiquement, ni politiquement ces différentes circonscriptions. La présence de population étrangère n’explique pas non plus ce phénomène.

Un scénario identique se déroule au nord de la Nouvelle Aquitaine, dans la 3ème circonscription des Deux-Sèvres. La candidate frontiste y a progressé de près 5,73% passant 14,47% des suffrages à 20,20% des bulletins exprimés au soir du 23 avril. A Pas-De-Jeu, petit village, le vote FN est passé de 25 à 41%. Selon Maryline Gelée, maire depuis 2008, il n’y a pas eu de changements notables dans son village de 235 habitants. « Je pense que la raison est nationale. Les gens s’identifient beaucoup à la télé et aux médias. » Une explication confirmée par Olivier Costa : « Les gens perçoivent le monde à travers les médias, les réseaux sociaux. Ce n’est pas parce que vous habitez au fin fond de la Creuse que vous n’avez pas peur du terrorisme islamiste, même si c’est hautement improbable qu’il fasse sauter le bar tabac de votre village ! ».

Dans ces territoires traditionnellement de gauche (Poitou Charentes, Landes, Limousin), les fortes progressions de Marine Le Pen passent presque inaperçues. Des circonscriptions dont les voix pourraient encore augmenter en faveur du parti lepéniste lors des prochains scrutins.

De l’Ile d’Oléron à Toulouse : la remontada du Front National

De Rochefort à Agen, un axe bleu marine se détache sur la carte. Nouveauté ? Pas vraiment. Dans Le pari du FN, Hervé Le Bras rappelle que cette diagonale était déjà favorable au vote contre l’indépendance de l’Algérie. En 1995 et en 2002, l’axe est de nouveau en faveur de Jean-Marie Le Pen. En 2012, Marine Le Pen se place en troisième position avec déjà plus de 20% des voix. Paradoxe, la seule variable du revenu médian ne permet pas d’expliquer le vote en faveur du Front National. 

 

La diagonale relie deux villes centres : Toulouse et Bordeaux. Des axes de circulations qui favorisent les rencontres et les échanges comme le souligne Hervé Le Bras. Cette zone cumule les handicaps : chômage, jeunes sans diplômes, familles monoparentales. La population est dominée par deux tranches d’âges les 40-54 ans et les 65-79 ans. Plus inhabituel, parmi les actifs, les employés sont majoritaires et donnent leurs votes au Front National. Dans la diagonale 25 à 35% des jeunes seraient touchés par le chômage, 15 à 18% d’entre eux seraient sans diplômes. La diagonale regroupe également une forte proportion de familles monoparentales. En croisant ces différents facteurs Hervé Le Bras en arrive à une carte des zones fragiles sur laquelle on retrouve la fameuse diagonale bleu marine.

Il n’y a pas une seule raison sociologique ou historique capable à elle seule d’expliquer la poussée de l’extrême droite dans la région. De même, il n’y a pas un votant mais des votants en faveur du parti de Marine Le Pen. La Nouvelle Aquitaine refléterait donc à l’échelle régionale, la stratégie d’un parti qui se veut “attrape-tout” avec un discours dirigé vers un électorat diversifié aux problèmes multiples. De la jeune mère de famille monoparentale à l’ouvrier quinquagénaire ou encore au saisonnier viticole, le FN se dessine une nouvelle carte avec un programme politique à la carte.

Jean-Luc Mélenchon : une conquête fragile

 

 

Les résultats de Jean-Luc Mélenchon surprennent tant il y a d’oppositions. L’homme fédère à la fois un vote urbain et un vote rural. Deux publics différents, qui votent par défaut pour les uns, par adhésion pour les autres.

Le candidat de la France Insoumise réalise une percée spectaculaire dans des zones urbaines. Entre 2012 et 2017, il gagne 13,62 points dans la périphérie Sud et 12,49 points dans la périphérie Est de Bordeaux, deux circonscriptions qui l’ont placé en tête. Il gagne également 10 points à Poitiers et à Angoulême.

 

Dans ces zones urbaines, il est possible d’établir un lien avec la structure de la population. En Nouvelle-Aquitaine, plus il y a de jeunes (18 – 24 ans) et jeunes-adultes (25 – 39 ans) dans une circonscription, plus le vote Mélenchon est présent. À partir de 40 ans, la tendance s’inverse vers un rejet de ce vote.

 

De même, plus il a de votes Mélenchon dans une circonscription, plus il y a de CSP « autres » (chômeurs, étudiants), de professions intermédiaires, de cadres et d’employés.

« C’est un effet d’aubaine qui permet à Jean-Luc Mélenchon de faire des scores fabuleux, bien plus hauts qu’en 2012. Il a su tirer son épingle du jeu lors de l’effondrement du PS. Le tiers de l’électorat du PS le plus à droite s’est tourné vers Macron, tandis que le tiers le plus à gauche l’a suivi. L’électorat du PS est un électorat de classe socio-professionnelle supérieure. A Bordeaux, ce sont des « bobos de gauche », relativement jeunes et aisés qui ont voté Mélenchon, qui présentait une alternative intéressante à leurs yeux ! », explique le chercheur Olivier Costa.

L’autre territoire qui bascule en faveur de la France Insoumise est rural. En Dordogne, Jean-Luc Mélenchon arrive en tête dans trois circonscriptions sur quatre. Ici, ce n’est pas une explication quant à la structure de la population qui doit primer – les indicateurs auraient même été plutôt favorables à Marine Le Pen – mais une raison culturelle.

« Le périgord vert est une terre de gauche. C’est même une terre communiste en réalité. Cette culture est ancrée dans l’histoire de la population, et le caractère assez particulier des élections a réveillé cette conscience de gauche. On est sur un territoire de solidarité, pas un territoire qui génère de la richesse », commente un membre de l’équipe municipale de Lisle, village dans lequel Mélenchon est passé de 10,67 % des suffrages en 2012 à 27,09 % en 2017.

Une terre très à gauche, certes. Mais jusqu’à quand ? « La ruralité est un terrain bien occupé par le FN, au fil d’une stratégie extrêmement patiente et de gros investissements. L’extrême-gauche n’y est historiquement pas présente. Une gauche résiste, dans des villes historiquement socialistes, où les élus ont une grande influence et des réseaux clientélistes extrêmement solides. Pour se faire une place dans ce contexte là, c’est très difficile. Le Front de Gauche n’a pas beaucoup de moyens et n’a pas engendré de succès électoraux tels qu’ils lui permettent de s’implanter comme le FN dans la ruralité. Tout dépend alors de la manière dont se reconfigure le PS », tranche Olivier Costa.

Reste à savoir si ces tendances se confirmeront lors des prochaines élections législatives.

Article réalisé par :

Delphine-Marion Boulle

Alexandre Foucault

Nérissa Hémani

Audrey Morard

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Couverture : Rama (CC BY-SA 2.0)

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